Institut Jean Nicod

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Prix et Conférences Jean-Nicod 2002

Cycle 2002

 
RUTH G. MILLIKAN
VARIETIES OF MEANING
(conférences en anglais)
 

 

Ruth Garrett Millikan est aujourd’hui internationalement reconnue comme l’une des plus importantes philosophes analytiques contemporaines. 
 
Carrière
 
R. Millikan a fait ses études « undergraduées » (undergraduate) à Oberlin College où elle découvre la philosophie (selon ses propres mots, « elle [y] est mordue par la philosophie »). Ultérieurement, elle poursuit ses études graduées à Yale ; elle y obtient son PhD (doctorat) en 1969. Elle reconnaît l’influence de Ch. Morris et surtout de D. Dennett dans sa persévérance à développer et faire connaître ses idées. Cette persévérance a abouti à son livre majeur de 1984, Language, Thought and other Biological Categories, dont D. Dennett fut le préfacier.
 
R. Millikan a enseigné dans plusieurs universités. En particulier, elle a partagé ses vingt dernières années entre l’université du Michigan (UMich) et surtout l’Université du Connecticut (UConn). Elle enseigne à UConn depuis 1977 tout en enseignant régulièrement à UMich. En 1983, elle est Professeur Associée à UConn et Full Professor depuis 1988. Depuis 1996, elle est Full Professor avec une tenure track complète à UConn. En 2001, elle y est nommée au Board of Trustees Distinguished Professor. 
 
Publications et honneurs
 
Elle est l’auteur de trois livres en vingt ans. En 1984, elle publie Language, Thought and other Biological Categories (MIT press). Ce livre ardu, considéré comme l’une des œuvres essentielles de la philosophie de l’esprit et de la psychologie contemporaine, est la source de sa pensée. Depuis, elle n’a cessé de développer les thèmes qui s’y trouvaient. Elle publie en 1993 White Queen Psychology and other Essays for Alice (MIT Press), qui regroupe certains des articles publiés à la suite de son livre de 1984. Elle écrit elle-même à propos de White Queen Psychology qu’il « constitue une sorte d’introduction après coup à Language, Thought and other Biological Categories ». Enfin, en 2000, elle publie On Clear and Confused Ideas, An Essay about Substance Concepts (Cambridge University Press). Ce livre, qui réécrit certains des articles publiés dans les années 90, propose l’une des positions les plus originales dans le débat philosophique sur la nature des concepts.
 
Elle est aussi l’auteur de près d’une quarantaine d’articles dans les plus grandes revues. Il faut souligner que ses articles ont été publiés dans des revues de nature très variée. Toutes les grandes revues anglo-saxonnes de philosophie ont publiées ses articles (Philosophical Review, Nous, Mind, The Journal of Philosophy, Philosophy and Phenomenological Research, philosophy of Science…). En outre, elle a publié des articles dans des revues de philosophie spécialisées, par exemple Biology and Philosophy (1989). Enfin, soulignons que R. Millikan a publié des articles dans des revues et des recueils non philosophiques, en particulier dans l’importante revue de sciences cognitives, Behavioral and Brain Sciences (1998). 
 
En outre, R. Millikan est une conférencière renommée qui a donné des centaines de conférence dans le monde entier. Elle fait partie de plusieurs comités éditoriaux (Philosophical Studies depuis 1988 et Philosophy and Phenomenological Research depuis 1995) et a occupé plusieurs fonctions importantes dans le monde académique (Président de la Société pour la philosophie et la psychologie, SPP, en 1992-1993 ; membres des comités directeurs de la SPP et de l’Association américaine philosophique, APA, à de nombreuses reprises).
 
De nombreux honneurs ont accompagné sa carrière. En particulier, outre son poste de Full Professor avec une tenure track complète à UConn en 1996 et sa nomination au Board of Trustees Distinguished Professor en 2001, elle fut entre autres choisie comme conférencière dans deux des plus prestigieuses conférences de philosophie, à savoir The Gareth Evans Memorial Lecture d’Oxford University en 1991 et The Tenth Annual Patrick Romanell Lecture en 1997 (l’une des deux lectures commandées annuellement par l’APA). En 1991, son article « Perceptual content and Fregean Myth » est choisi comme article d’ouverture du numéro du centenaire de la prestigieuse revue de philosophie Mind.
 
Conceptions philosophiques
 
Le travail de R. Millikan s’est initialement développé dans quatre domaines, la philosophie de la biologie, la philosophie de l’esprit et de la psychologie, la philosophie du langage et l’ontologie. Plus récemment, elle s’est aussi intéressée à l’épistémologie (comme en témoigne On Clear and Confused Ideas).
 
Language, Thought and other Biological Categories contient un programme philosophique de grande envergure que les nombreux articles et les deux livres ultérieurs sont venus développer. Ce programme est d’inspiration naturaliste – et ce à deux titres. Tout d’abord, Millikan défend un naturalisme méthodologique : il n’y pas de discontinuité entre la philosophie et les sciences empiriques. Ensuite, elle admet un naturalisme métaphysique : seules existent les entités compatibles avec les ontologies des sciences naturelles. Elle se distingue toutefois des autres naturalismes en soulignant la place centrale de la biologie dans une compréhension naturaliste du monde. Conformément à ce naturalisme métaphysique, le cœur des positions philosophiques de Millikan consiste à traiter la pensée et le langage comme des réalités biologiques qui doivent être comprises au moyen des instruments théoriques appliqués habituellement aux entités biologiques. En particulier, les notions fonctionnelles et évolutionnistes doivent être appliquées à ces deux domaines. C’est l’application de cette idée de base au problème de l’intentionnalité qui fait de Language, Thought and other Biological Categories un classique de la philosophie de l’esprit contemporaine. L’une des versions de ce problème consiste à expliquer comment les états mentaux peuvent se rapporter à des entités et des situations dans le monde, par exemple à expliquer comment nos croyances peuvent représenter les situations qu’ils représentent, étant donné une position naturaliste. Le naturalisme implique que l’intentionnalité ne peut être une propriété primitive, mais doit être expliqué au moyen de propriétés naturelles. Millikan a inventé une solution à la fois originale et féconde à ce problème, la biosémantique. La biosémantique est la version la plus sophistiquée des approches téléologiques du problème de l’intentionnalité. Ces approches ont en commun l’usage de la notion de fonction pour rendre compte des propriétés sémantiques des états mentaux. La position de Millikan doit son importance à son originalité, sa complexité et sa subtilité. Quatre traits singularisent sa position. Tout d’abord, la solution biosémantique repose sur une analyse évolutionniste extrèmement détaillée des notions biologiques pertinentes, comme celles de fonction propre, de fonction dérivée, d’explication normale et de condition normale pour les fonctions. Brièvement, la fonction d’une entité est la propriété qui a causalement permis à des entités du même type d’être sélectionnées. Les conditions normales sont les conditions dans lesquelles la possession de cette propriété a conféré un avantage évolutionniste et qui continuent à permettre la satisfaction non accidentelle de la fonction. Ensuite, contrairement à la plupart des philosophes de l’esprit, elle rejette toute assimilation de l’intentionnalité à l’information naturelle véhiculée par un état mental (Fodor, Dretske, Stampe). En outre, elle insiste sur les systèmes cognitifs qui utilisent les états mentaux par opposition aux systèmes mentaux qui produisent ces états : le contenu d’un état mental est déterminé par l’utilisation qui en est faite. Enfin, les propriétés sémantiques ne reposent pas directement sur la fonction des systèmes utilisateurs d’états mentaux, mais sur les conditions normales de leur fonctionnement, c’est-à-dire sur les conditions qui permettent aux systèmes consommateurs de satisfaire leurs fonctions. Ceci posé, l’explication de l’intentionnalité est en bref la suivante : un état mental déclaratif (par exemple, une croyance) représente une situation A si et seulement si sa correspondance avec A (c’est-à-dire sa covariation avec A selon une régle déterminée par le système utilisateur) est une condition normale du fonctionnement des systèmes qui l’utilisent. Avec cette solution, la biosémantique offre aussi l’une des analyses les plus robustes de la nature des représentations mentales : elle occupe donc une place privilégiée dans l’analyse des fondements théoriques des sciences cognitives. R. Millikan a ainsi vigoureusement insisté sur la diversité des types d’états mentaux, des signes et de formes de signification. En particulier, elle a souligné les différences qui distinguent les états intentionnels des systèmes cognitifs de différents complexités (depuis les bactéries jusqu’aux humains en passant par les abeilles et les oiseaux).
 
Plus généralement, l’approche biologique a conduit Millikan vers une analyse très originale de la cognition et de la psychologie, développée particulièrement dans White Queen Psychology. Comme en biologie, les explications psychologiques sont fonctionnelles et impliquent la prise en compte de l’environnement dans lequel les capacités cognitives ont été sélectionnées : elle rejette donc la position individualiste selon laquelle l’analyse des processus cognitifs peut faire abstraction de l’environnement (Fodor). Notons la proximité de cette position avec certains principes de la psychologie évolutionniste. Parallèlement, la conception computationnelle de l’esprit, qui a été développée entre autres par Fodor et Pylyshyn et qui est largement admise dans les sciences cognitives, est rejetée : l’assimilation de l’esprit à une machine de Turing conduit à ignorer l’environnement, tandis que l’hypothèse d’un niveau d’analyse syntactique des processus cognitifs est théoriquement douteuse. Enfin, elle rejette le rationalisme de la signification (meaning rationalism) et la psychologie rationnelle qui prévalent à ses yeux dans toutes les conceptions philosophiques contemporaines de l’esprit. Le rationalisme de la signification soutient que nous avons un accès privilégié aux propriétés sémantiques de nos états mentaux. Cet accés est supposé expliquer pourquoi les lois de la logique, par exemple la loi de la contradiction, gouvernent la psychologie humaine (la psychologie rationnelle). Au contraire, pour Millikan, la pensée n’est pas gouvernée par les lois logiques, mais elle se comporte logiquement lorsqu’elle remplit ses fonctions dans des conditions normales. Contre le rationalisme de la signification, elle a élaboré dans On Clear and Confused Ideas une position externaliste radicale de la signification : nous n’avons aucun accès direct au contenu sémantique de nos pensées. Puisqu’il est couramment admis que l’externalisme rencontre des problèmes d’ordre épistémologique, elle a été conduite à se pencher sur des questions épistémologiques dans son dernier livre. Conformément à cet ensemble de positions, elle propose une conception originale de la rationalité : la rationalité d’un individu est fonction de la relation entre le comportement de l’individu et l’environnement dans lequel il se trouve (rationalité large) et non de l’obéissance aux lois de la logique ou de la théorie de la décision (sur ce point encore, la position de Millikan est proche de certains principes de la psychologie évolutionniste).
 
La contribution de Millikan à la philosophie ne se réduit pas à la philosophie de l’esprit et de la psychologie. Comme le suggèrent les commentaires précédents, l’apport de Millikan à la philosophie de la biologie est important. En particulier, elle a contribué à l’analyse détaillée de la notion de fonction dans Language, Thought and Other Biological Categories et de la notion de comportement dans White Queen Psychology. Notons qu’avec quelques autres philosophes, R. Millikan a anticipé le développement considérable de ce domaine philosophique dont nous sommes aujourd’hui témoins.
 
Language, Thought and Other Biological Categories n’est pas consacré exclusivement à la pensée et aux états mentaux. Le langage fait aussi partie des entités qui doivent être comprises au moyen des notions thériques de la biologie. En particulier, il faut déterminer les fonctions du langage en général, ainsi que des différents types d’éléments linguistiques (par exemple, des différents types d’expressions). Language, Thought and Other Biological Categories distingue deux types de fonction que possèdent les entités linguistiques (éléments du lexique, constructions grammaticales). Elles ont une fonction dérivée, qui correspond à l’intention du locuteur à l’origine de leur emploi, mais aussi une fonction propre, puisque les mots sont des entités qui se reproduisent. La fonction propre d’une entité linguistique est la propriété qui explique causalement pourquoi des entités de ce type ont été continuellement réutilisées par le passé (autrement dit, ont été sélectionnées). L’originalité de la position de Millikan en philosophie du langage dérive en partie de cette notion de fonction propre des entités linguistiques. Elle offre en effet une nouvelle manière de décrire la signification des entités linguistiques et de comprendre à nouveaux frais le vieux slogan « la signification, c’est l’usage ». En outre, R. Millikan s’est particulièrement intéressée à la pragmatique. Dans Language, Thought and Other Biological Categories, elle a critiqué la réalité psychologique des intentions postulées par la théorie gricéenne de la communication. Plus récemment, elle a expliqué les conventions linguistiques au moyen, de nouveau, de certaines notions biologiques. Enfin, dans On Clear and Confused Ideas, elle a soutenu la thèse provocatrice que le langage était un sens au moyen duquel nous percevions le monde.
 
La position de Millikan en ontologie est aussi tout à fait originale depuis Language, Thought and Other Biological Categories. Dans On Clear and Confused Ideas, elle développe une notion particulièrement intéressante de substance : est substance toute entité ou type d’entités à propos desquels une connaissance peut être acquise. En outre, elle a utilisé les notions de la biologie évolutionniste pour développer la notion d’espèce historique et pour construire une théorie des artefacts.
 

PROGRAM

Lundi 27 mai 16h -18h
Auditorium du CNRS, 3 rue Michel-Ange, 75016 Paris
18h - Remise du prix Jean-Nicod et vin d’honneur après la conférence
 
Vendredi 31 mai 15h - 17h
EHESS, salle 7, 105 boulevard Raspail, 75006 Paris
 
Mardi 4 juin 14h - 16h
EHESS, salle 8, 105 boulevard Raspail, 75006 Paris
 
Jeudi 6 juin 15h - 17h
EHESS, salle 1, 105 boulevard Raspail, 75006 Paris
 
Mardi 11 juin 15h - 17h
Maison Suger, 16-18 rue Suger, 75006 Paris


 

Bibliographie partielle

Livres
 
Language, Thought, and Other Biological Categories, (Bradford Books/MIT Press, 1984) XI, 355 pp. Paperback edition 1988.
 
White Queen Psychology and Other Essays For Alice, (Bradford Books/MIT Press 1993), 388 pp. aperback edition 1995.
 
On Clear and Confused Ideas : An Essay about Substance Concepts, Cambridge University Press 2000, cloth and paper.
 
Articles sélectionnés :
 
"An Evolutionist Approach to Language", Philosophy Research Archives, vol. 5, No. 4 (1979).
 
“Thoughts Without Laws", Philosophical Review 95.1 (1986) pp. 47- 80
 
"Metaphysical Antirealism ?", Mind 95.4 (1986).
 
"In Defense of Proper Functions", Philosophy of Science 56.2 (1989) pp. 288- 302.
 
“Biosemantics", The Journal of Philosophy 86.6 (1989) pp. 281- 297.
 
"An Ambiguity in the Notion "Function’", Biology and Philosophy 4.2 (1989)
 
"Perceptual Content and Fregean Myth", centennial issue of Mind, Volume 100.4 (1991) pp. 439-59.
 
"Explanation in Biopsychology", in J. Heil and A. Mele, eds., Mental Causation, Oxford University Press 1993 pp. 211-232.
 
"Proper Function and Convention in Speech Acts," in ed. L.E. Hahn, The Philosophy of Peter F. Strawson, The Library of Living Philosophers (LaSalle IL : Open Court 1998), pp.25-43.
 
"A Common Structure for Concepts of Individuals, Stuffs, and Basic Kinds : More Mama, More Milk and More Mouse", Behavioral and Brain Sciences 22.1 (February 1998), pp. 55-65.
 
"Language Conventions Made Simple,” Journal of Philosophy XCV no.4 (April 1998), pp. 161-180.
 
"How We Make Our Ideas Clear," The Tenth Annual Patrick Romanell Lecture, Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association. November 1998, pp 65-79.
 
“Historical Kinds and the Special Sciences," 1997 Oberlin Colloquium, Philosophical Studies 95.1-2, August 1999, pp. 45-65.
 

 
 
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