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Nuit de l'ENS: tribune

Face aux fake news, créons des «hommes de fer»

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Dans le cadre du festival de l’ENS, les chercheurs Sacha Altay et Hugo Mercier expliquent qu’il est crucial de «rendre les sources d’information fiables plus dignes de confiance, et ne pas rejeter trop rapidement les points de vue différant du nôtre».
par Sacha Altay, post-doctorant au Reuters Institute for the Study of Journalism, Université d'Oxford et Hugo Mercier, chercheur CNRS en sciences cognitives à l’Institut Jean-Nicod
publié le 29 août 2022 à 5h00

L’incertitude est le terreau fertile des rumeurs. Dans les premiers mois de la pandémie, les questions alors sans réponse – «D’où vient ce virus ? Comment s’en prémunir ?» – alimentent la complosphère et les réseaux de désinformation qui voient leur trafic augmenter. Mais l’incertitude motive la consommation et le partage de rumeurs surtout chez ceux qui ne font pas confiance aux sources officielles, au gouvernement, à la science. Ces sceptiques ne cherchent pas seulement à s’informer, mais aussi à exprimer et justifier une posture de défiance, faisant feu de toute information compromettante, aussi peu plausible qu’elle soit. Au même instant, la majorité de la population, ayant maintenu au moins un brin de confiance dans les institutions, se tourne massivement vers des sources fiables, telles que France Info.

Si les fake news ont beaucoup moins de succès et encore moins d’effet qu’on ne pourrait le penser, la situation actuelle est loin d’être idéale. La confiance dans les médias est faible, l’acceptation du consensus scientifique est lente, et même lorsqu’il est accepté, nous n’agissons pas toujours de façon adaptée (en témoignent les avions pleins de personnes inquiètes du réchauffement climatique). Selon nous, le problème majeur n’est pas une crédulité débridée vis-à-vis des fausses informations, mais plutôt une vigilance excessive envers les informations fiables.

Dire la vérité, même si elle est inquiétante

Pour résoudre ce problème d’hypervigilance au moins deux angles d’attaques sont envisageables : rendre les sources d’information fiables plus dignes de confiance, et ne pas rejeter trop rapidement les points de vue différant du nôtre.

Si nous voulons que les gens nous fassent confiance, il faut avant tout être digne de confiance. Le meilleur moyen de lutte contre les théories du complot est… d’avoir moins de complots ! Moins un pays est corrompu, moins les théories du complot y ont du succès. Il est également crucial de traiter nos interlocuteurs comme des égaux, plutôt que d’adopter une attitude paternaliste. De nombreux stéréotypes sur le peuple sont infondés, tel que sa tendance à paniquer et agir égoïstement en période de crise. Il est donc crucial de dire la vérité, même si elle est inquiétante. De communiquer l’incertitude, au risque d’admettre son ignorance. Et de reconnaître ses erreurs, quel qu’en soit le prix à court terme.

Pour savoir si nos opinions sont justes, la meilleure solution est de discuter avec un opposant, bien informé et de bonne foi, loin des regards, pour que changer d’avis ne signifie pas perdre la face. Malheureusement, nous sommes trop souvent exposés à des désaccords dans des conditions bien éloignées de cet idéal, et il est alors facile de faire des opinions adverses des hommes de paille trop faciles à rejeter. Nous devrions plutôt suivre les conseils du philosophe Daniel Dennett et tenter de créer nous-même des hommes de fer, la meilleure version possible des arguments opposés. Ce n’est que lorsque nous aurons vaincu ces hommes de fer que nous aurons mérité d’avoir confiance dans nos opinions.

La 5e Nuit de l’ENS se déroule le vendredi 9 septembre 2022 avec des conférences et des tables-rondes pour découvrir, comprendre et apprivoiser l’incertitude.
Pour aller plus loin :

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